Chapitre 4 : apprentissage

Publié le par Andre.G

Des parents trop pauvres, ne pouvaient entreprendre aux dessus de leurs forces et de leurs moyens cette modernisation inéductable, les chevaux étaient remplacés par des tracteurs et d’autres machines coûteuses étaient nécessaires. On présentait bien que ce changement serait irréversible.

Des usines ouvraient aux périphéries des villes. Les ouvriers agricoles quittaient la campagne, pour aller travailler dans ces usines. On ne pensait pas encore que cette industrialisation allait provoquer cet exode rural de cette importance. Mais au pied du mur, il fallait bien envisager un avenir et chercher un travail ailleurs. Des parents inquiets, qui avaient toujours, assuré le pain de la famille à la ferme.

Il fallait donc entreprendre des démarches. La promesse d’un vélo pour la réussite au certificat d’études, dès qu’on aurait battu la moisson et vendu le grain.

 

Pressentant ce départ inévitable, j’avais de mon propre chef, scié du bois, pour éviter ce travail à ma mère, sachant que certainement bientôt, je ne serais plus là. Elle fut touchée et j’ai encore en tête « Je n’ai jamais eu autant de bois d’avance »

C’était un lundi soir, on rentant du marché de Bonneval, un épicier monsieur Peigné cherchait un apprenti. C’était une excellente maison, une entreprise familiale sérieuse, bonne renommée, trois employés.

Ce soir-là, à table on en parle en famille. Et puis Bonneval n’est qu’à douze kilomètres du Grand Bois, ce qui permettrait de revenir souvent en famille.

 

Il y avait à l’époque, beaucoup d’offres d’emplois à proximité. Tous les métiers de l’artisanat. L’essentiel était de faire le bon choix.

 

Le mardi, mes parents me présentèrent, à mes futurs patrons, Monsieur & Madame Peigné. Je fus embauché pour deux années d’apprentissage. Nourri et logé, je gagnais cent francs par mois, c’est ainsi qu’au mois d’août, avec la blouse grise et le tablier, je devins apprenti épicier.

André  « Vas chercher des bocaux et les remplir de moutarde, ça va peut –être te monter au nez ! » Ce fut mon premier travail d’apprenti. On recevait la moutarde en fût de cent litres, on le décerclait vers le haut, enfin de pouvoir remplir ces bocaux. C’est vrai que la moutarde montait au nez.

 

Du jour au lendemain, ce fut la fin de la vie en famille, les taquineries entre frères, la clef des champs, la liberté. Tous les jours entre ces quatre murs, ces boites de conserves, entourés de toutes ces bouteilles. En fond de magasin, une petite cour, d’un mètre de large, un petit coin de ciel bleu, en haut des étages. Il faudra bien s’y habiter.

De l’autre côté de la rue Saint Roch, il y avait une petite annexe, avec un grand torréfacteur à café, au repos pendant tout la guerre. Le retour du café vert n’était pas encore rétabli, tout comme pendant la guerre.

Une petite cour de six mètres carré, c’est là que j’en ai lavé des millions de bouteilles, dans cette cour. Dans un grand baquet, je couchais les bouteilles sales, je vidais de l’eau par-dessus, pour que les étiquettes se décollent. La vie en ville n’était guère plus souple, que celle aux champs .Pas encore de robinet, j’allais avec de grands seaux galvanisés, chercher l’eau à la pompe, derrière l’église. Il y avait bien cent cinquante ou deux cent mètres et ces seaux étaient presque aussi lourds que moi.

Le lavage des bouteilles effectué, il fallait aller jeter l’eau sale. Je posais devant le grand café saint Roch, son patron rouspétait « Il va encore laisser tomber de l’eau et les clients vont tout piétiner devant le comptoir »

 

A cette époque il y avait encore des restrictions alimentaires, les familles avaient toujours les cartes instaurées pendant la guerre. Il fallait se débrouiller pour approvisionner le magasin. Mon patron avait acheté une vielle camionnette d’occasion à Paris des peintures Valentine. Qu’il avait fait repeindre pour allait à Paris s’approvisionner. Par exemple à la biscuiterie Alsacienne, les entremets Impérial, les biscuits Scapini et d’autres produits vendus par notre épicerie.

Nous allions à Paris avec des collègues épiciers, qui se nommaient Barré, Férré et Peigné.

Il y avait à l’époque à Bonneval, quatre ou cinq épiceries à Bonneval de même importance.

La concurrence était ‘bonne enfant’ chacun à son tour allait à Paris avec sa propre camionnette. La plupart des produits arrivaient en vrac, que ce soit le vin, le cidre, l’huile, le rhum, les grenaches, l’eau de vie, le sel, l’eau de Cologne, la chicorée en sac.

Beaucoup de travaux manuels, cela n’était pas pour me surprendre, par rapport aux travaux de la campagne. Tout cela était lourd, des fûts de deux cent cinquante ou cent litres, des sacs de sucre, de légumes secs de cent kilos.

On vendait beaucoup de sel, pour les salaisons de la viande de porc. Ces sacs de sels nous abîmaient les bras et les mains. Il y avait aussi des pierres à sel, pour les animaux, des blocs de toutes les formes et de tous les poids.

 

Les commerçants ambulants, n’avaient pas encore repris leurs tournées. Le lundi jour de marché, beaucoup d’habitants venaient faire leurs emplettes, à Bonneval. L’après-midi le magasin était plein, au début j’ai eu peur de cette foule. Il n’y avait pas autant de monde dans les champs. Certains client avait leur vendeur d’attitré, d’autres donnaient leur commande au patron, celui-ci encaissait les clients qui s’étaient faits servir et me transmettait les commandes à préparer.

Les clients passaient ensuite chercher leur commande. Ceux qui venaient de plus loin venaient en voiture à cheval. Plus tard il fallait porter cette commande jusqu’à leur voiture.

 

Dans les auberges, il y avait un garçon de cour, il dételait le cheval et l’attachait à l’écurie, avec le foin du client en attendant la fin du marché.

Les clients, dont j’assumais la préparation des commandes, laissaient leur panier au magasin. Il y avait un tas de panier, dans l’arrière-boutique et je devais les reconnaître, soit pour la préparation ou la restitution aux clients. Lors de la livraison, à la voiture, parfois les clients me donnaient la pièce.

 

A table, nous mangions avec les patrons, la cuisine était différente de celle de la ferme. Il faut avouer que c’était très bon. J’ai un jour été troublé, par une vieille paysanne de mon pays, qui s’entretenait avec ma patronne. Dans la conversation elle déclare suite à la demande de cette paysanne, si monsieur Peigné était satisfait de moi et heureux d’entendre, oh oui, il dit même que l’on mange ici comme à la noce. Bien sur les menus étaient plus élaborés et plus variés qu’au grand Bois. J’étais très gêné en face de ma patronne de cette indiscrétion.

 

J’avais une chambre à l’annexe au premier étage. Pour la toilette, il fallait monter un broc d’eau et se laver dans une cuvette. L’hiver l’eau était gelé le matin. Nous avions bien un petit poêle Mirus, que l’on allumait au moment de se coucher, mais la nuit il s’éteignait.

 

Les distractions ne manquaient pas à Bonneval, un cinéma, des cafés, mais chez nous, nos parents nous ont toujours dit que ces distractions étaient malsaines. Et en plus, je n’avais pas d’argent à part quelques pièces des clients. Mon patron me donnait maintenant cinq cent francs, juste de quoi acheter deux paires de chaussettes. Mes parents n’étaient pas riches, je pourrais dire pauvres même et l’on ne dépense pas l’argent ainsi au plaisir.

Aujourd’hui certains ouvriers maugréaient pour endosser les vêtements de l’entreprise demandant indemnités de temps pour ce changé.

Si seulement mon patron m’avait fourni des vêtements de travail. Cela aurait épargné bien des heures de nuits, à ma pauvre mère à réparer, mes blouses qui craquaient, toujours à côté des anciennes réparations.

 

Enfin le samedi soir, quel bonheur de se retrouver en famille. Revoir mes parents, frères et sœur, remettre la main à la terre. On ne se détache ainsi de ses origines paysannes. J’en profitais à mon retour, pour ramener quelques courses à mes parents, grands-parents et à une de leur voisine. Elle me demandait de lui ramener du pétrole, pour élever des poussins sous une lampe à pétrole. Je lui rapportais par bidon de cinq litres du pétrole Desmarets. Avant la guerre beaucoup de carburants étaient ainsi négocié par l’épicier

Je tenais le bidon, par le poignet au guidon de vélo. Marie Duchène était très satisfaite.

 

La roue tourne, l’apprentissage se termine, en même temps les événements vont mieux. Les restrictions de la guerre sont terminées. Mon patron envisage de reprendre le service à ses clients, par porte à porte dit à la chine avec un camion achalandé. Mon patron se met en quête d’une camionnette, car les véhicules neufs ne courent pas les rues. Il achète à l’entreprise de maçonnerie Pagot, qui est en faillite, un camion plateau, vieux et sale. Il le fait rénover, carrosser et il arrive comme neuf prêts à partir.

J’ai éprouvé beaucoup de plaisir à, assister mon patron ou le premier commis à parcourir ainsi la campagne, on respire.

 

Mon apprentissage terminé, mon patron me propose de me garder, comme commis épicier avec un salaire de trois milles cinq francs par mois. Conditions blouse blanche et cravate, un jour de congé par semaine. Aller en ville, prospecter la clientèle, prise de commande et livraison dans la semaine même.

 

Le pas fut difficile à franchir, la maison avait beaucoup de clients fidèles, mais n’étant pas de Bonneval, je ne connaissais pas leurs adresses et il me fallait trouver de nouveaux clients aussi.

Comment me présenter, la frousse me tortura, l’ambition me poussait, il faut y aller. Il y eu des refus, des gens qui me donnaient leur commande, des clients qui me trouvent gentils, qui me font appeler par la voisine. D’autres qui me trouvent trop arriéré. Quelle salade !! Tout ce qu’il fallait pour enlever un peu de paille de mes sabots. C’était la formation sur le tas, des clientes donnaient une petite pièce. Ça fait du bien à la trésorerie. Enfin une petite position se fait, me voici commis épicier. Je livrais les clients, avec un triporteur à pédales. Je prenais le maximum de marchandise.

 

Bonneval est situé dans une vallée, à quelques mètres du centre-ville, des cotes à monter. C’était dur pour mes mollets. Parfois des passants qui prenaient la même direction, m’aidaient à pousser le triporteur. Avant de partir livrer, ma patronne épelait les commandes, les articles un à un. La marchandise était déposée dans des caisses, dans l’ordre du trajet des clients. Alors je reprenais les produits, un à un disposés dans un panier pour aller livrer la cliente, et j’encaissais la facture.

J’avais une sacoche en cuir, qui me battait les flancs, ce n’était pas pratique, en livrant quand les jours étaient courts. J’avais sur le côté du triporteur, une espèce de lampe rectangulaire à huile, (moitié huile et pétrole) pour me signaler à la circulation.

Je relisais les factures pour préparer les commandes de mes clients. Tout se mélange à la fois, le travail du magasin, les tournées de campagne et celle de ville.

 

Ça commence à être intéressant, je gagne six mille francs par mois. Je commence à découvrir et aimer le métier. Je ne ménage pas et me donne au travail, pour l’intérêt de mon patron et restant dans la tradition familiale de conscience dans le travail.

 

Cependant, je le lasse se tant travailler et de gagner si peu. Le dernier samedi du mois, je pleure en rentrant à vélo au Grand Bois, avec mes six milles francs dans ma poche. Je me promets de demander une augmentation à mon patron. C’était un pas difficile à faire, pour moi. Je voulais avoir la volonté de le faire moi-même. Après deux ou trois mois, je m’y suis résigné. Monsieur Peigné, mon patron, me promit de me récompenser par un meilleur salaire. Ce fut pour moi, un grand réconfort, mon cœur a battu très vite...

 

Un grand soulagement, pour moi et la certitude de savoir que j’étais fait pour ce métier. Il est vrai que le commis épicier était mal payé. Les commis bouchers ou boulangers gagnaient pour certains à l’époque, en une semaine le salaire d’un mois commis épicier.

 

Le premier juin 1951, monsieur Peigné, mon premier patron, céda son affaire, à monsieur et madame Bassaler des commerçants parisiens. Les Peigné avaient deux filles, l’une mariée au docteur Penaud, fils unique, son père était grossiste en vin à Châteauneuf sur Loire.

La famille Bassaler n’était pas habituée au commerce, de province, avec des tournées. J’ai vite compris qu’il m’appréciait. Monsieur Bassaler en tournée, j’étais capable de conseiller son épouse, aux passages des représentants. Et surtout gérer le stock, et commandes raisonnées à la clef. Le commerce était différent de la Beauce par rapport à Paris.

Publié dans Autobiographie

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article